La question est de savoir si les « droits et libertés que la Constitution garantit » peuvent objectivement être qualifiés de droits fondamentaux en tant qu’objets strictement juridiques, sans que l’on ait à se référer à d’autres disciplines des sciences humaines pour les comprendre et les expliquer. Seule une analyse « pleinement et seulement juridique » permettrait de le savoir, si l’on accepte l’idée selon laquelle il existe une science du droit autonome des autres sciences qui ferait du droit un objet de connaissance. Malgré les nombreux travaux menés sur la QPC d’un côté, et les droits fondamentaux de l’autre, aucun auteur n’a encore véritablement démontré que les critères de la catégorie de droits et libertés issue de l’article 61-1 de la Constitution correspondent aux critères des droits fondamentaux. Parce que l’économie de cette démonstration nuirait à la connaissance de l’objet, nous proposons de tester l’une des définitions les plus pertinentes d’un concept, à l’aune de la QPC qui vient d’atteindre l’âge de raison, afin d’apprécier si la catégorie de « droits et libertés que la Constitution garantit » se confond avec la notion juridique de droits fondamentaux.
Bien que le thème « intrigue, dérange et divise» la communauté scientifique depuis les années 1970, gageons que tout n’a pas encore été dit. La plupart des auteurs français estime que les droits fondamentaux sont apparus en Europe au milieu du XXe siècle, parallèlement au développement du « modèle européen » de justice constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel devient l’autorité habilitée à délimiter la compétence législative. Pour certains auteurs, cette compétence prend son fondement dans les droits fondamentaux. On a en réalité commencé à mobiliser cette notion en même temps que sont apparues les premières constitutions, et la volonté d’en contrôler le respect.
C’est aux États-Unis qu’entre en vigueur en 1791 le Bill of Rights, une déclaration des droits destinée aux citoyens américains, composée d’amendements ajoutés à la Constitution de Philadelphie.
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L’avis du Comité scientifique
Monsieur Ménard propose ici aux lecteurs une « expédition » qui entend contribuer à la définition des droits fondamentaux par une lecture théorique reliée au droit français : que nous apprend la formule de « droits et libertés que la Constitution garantit » qui crée une catégorie nouvelle en 2008 ? Est-elle la concrétisation du concept de droit fondamental tel qu’entendu par la théorie du droit ?
L’intérêt du sujet ne fait pas de doute. Il s’agit de passer la situation constitutionnelle française contemporaine au crible de la théorie des droits fondamentaux élaborée par le Pr. O. Pfersmann, dans le but de vérifier que cette théorie est explicative du droit positif ; ce qui constitue déjà un effort par rapport aux ambitions propres de ladite théorie qui s’inscrit dans une théorie générale du droit, celle de l’école normativiste. Le parti pris est donc de poser, sur la notion de « Libertés que la Constitution garantit », le schéma a priori des droits fondamentaux proposé par le Pr. O. Pfersmann. La conclusion s’impose dés l’introduction: cela ne fonctionne pas. Plutôt que d’en conclure que la théorie ainsi « mise à l’épreuve » n’est pas explicative (sous réserve que telle fut son ambition s’agissant d’une démarche stipulative), l’auteur préfère la combiner avec une approche qui se situe dans une autre théorie, concurrente, la perspective « réaliste », notamment développée en France par le Pr. Michel Troper. Sur un plan épistémologique, si on pense que c’est la théorie qui fait l’objet et que donc le réalisme ne partage pas toujours la même ontologie du droit que le normativisme, la posture est risquée, car elle conduirait à parler de deux objets différents. Mais il s’agit heureusement en France de deux conceptions idéalistes du droit comme norme. Sur le reste ces deux corpus s’opposent largement (interprétation et statut de la jurisprudence en particulier).
Ainsi les éléments largement jurisprudentiels examinés n’existent pas comme source de droit pour l’une et sont le lieu de son expression même pour l’autre. L’auteur combine donc deux théories qui en principe s’excluent mutuellement. D’où le syncrétisme recherché par l’auteur pour justifier les conclusions de la première par l’objet de la seconde. Chacun appréciera la hardiesse de la construction qui, après tout, fût, sans doute, celle du second Kelsen.
Ne faut-il pas s’interroger quant à la possibilité même pour la théorie pure d’être autre chose qu’une théorie générale et sur sa capacité à penser un objet sectoriel comme les droits fondamentaux ? Si on sort de la démonstration de l’auteur, il apparaît que d’autres courants ou d’autres définitions des droits fondamentaux peuvent être convoqués à cet effet (voy. not. X. Bioy, « Qu’appelle-t-on « droits fondamentaux » ?», (actes du colloque « Les droits fondamentaux, horizon indépassable du constitutionnalisme ? ») Politéia n° 30, automne 2016, p. 215).
Au-delà de la démarche on appréciera, à la lecture de cette contribution, la maîtrise du droit positif et la finesse de l’analyse de la jurisprudence.
Xavier BIOY
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole
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Cependant, ce texte ne contient pas l’expression « droits fondamentaux » qui est issue du langage allemand. Bien qu’ils n’en eussent pas le nom, certains droits constitutionnels, opposables à l’ensemble des États fédérés, étaient considérés comme supérieurs.
Dans les années 1930, la Cour suprême des États-Unis commença à donner plein effet à cette règle, à travers la jurisprudence du juge Benjamin Cardozo. Il développa le concept de « droits supérieurs » dans l’arrêt Palko v. Connecticut (1937). Mais c’est surtout sous la présidence du juge Earl Warren qu’elle se développa et finit par atteindre le vieux continent.
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