Des primaires numériques. Réflexion sur l’organisation de primaires selon une procédure numérique en France

Artus Delaire
Étudiant en Master 2 à l’Université de Lille
Camilla Feliz
Étudiante en Master 2 à l’Université de Lille
Emma Rabita
Doctorante contractuelle à l’Université de Lille
L’organisation de primaires vise à désigner le candidat d’un ou plusieurs partis ou mouvements politiques à une élection. Pratiques relativement récentes sur le territoire national, ces primaires politiques sont impactées par deux nouveaux facteurs. Le premier est relatif à un phénomène apparu en 2017, qui a vu des groupes de citoyens s’organiser spontanément pour la création de primaires, s’émancipant des partis politiques traditionnellement organisateurs en la matière. Le second est dû au développement de nouvelles technologies permettant l’organisation de toutes les primaires sous forme numérique, ce qui se traduit notamment par un vote en ligne. Ces mutations sont rendues possibles par l’absence de cadre juridique unifié, permettant une grande liberté dans l’organisation des primaires, potentiellement au profit d’une participation citoyenne accrue. En revanche, ce flou juridique n’est pas sans créer certains risques, qu’il s’agira donc d’identifier tout en envisageant les réponses juridiques possibles. Primaries are organized to designate the candidate of one or more political parties or movements to an election. Political primaries are a rather recent phenomenon in France which is affected by two new factors. The first relates to an emerging practice resulting in the spontaneous organization of primaries by groups of citizens, breaking away from the political parties that traditionally organized them. The second derives from the development of new technologies leading to the organisation of primaries in a digital form, that enables among other things online voting. These changes are made possible by the absence of a unified legal framework, which allows almost total freedom in the organisation of primaries, potentially to the benefit of an increased citizen participation. On the other hand, this legal uncertainty raises certain risks, that we will need to identify while considering legal responses.
Les mutations que connaissent les primaires en France sont significatives de la volonté de rapprocher le citoyen du processus de sélection des candidats à une élection politique.  Initialement l’affaire des partis, elles tendent aujourd’hui à émaner des citoyens et à s’organiser sous forme numérique. La participation citoyenne est un concept polysémique recouvrant diverses réalités juridiques, sans qu’elles ne soient pour autant clairement définies. Entendue dans son sens restreint, elle vise à impliquer les citoyens aux processus de décision politique en dehors des périodes électorales et prend la forme d’« un processus en vertu duquel le citoyen est informé d’un projet faisant l’objet d’une décision dans des conditions lui permettant de formuler son point de vue ». Mais elle peut également être appréhendée de manière plus générale comme « l’ensemble des moyens par lesquels un citoyen peut activement faire valoir sa prérogative à participer à l’exercice du pouvoir ». La participation citoyenne constitue ainsi un mécanisme censé fournir des réponses à la crise de la représentation et au besoin du peuple de participer aux décisions publiques. Dans cette acception, l’organisation d’élections primaires peut alors apparaître comme une modalité de participation citoyenne, tant au regard des justifications originelles de leur développement que de la mutation récente de leur organisation via des plateformes numériques.
Les primaires désignent le processus de sélection d’un candidat d’un ou plusieurs partis à une élection. Il s’agit d’« une méthode de sélection partisane des candidats à une fonction politique reposant sur l’élection par un collège électoral large, incluant au moins les adhérents ». Elles peuvent effectivement être selon les cas « ouvertes », lorsqu’elles sont accessibles à tous les électeurs, ou « fermées » lorsqu’elles sont réservées à un électorat fondé généralement sur l’appartenance au parti politique en question. Si les élections présidentielles n’ont pas le monopole de l’organisation des primaires – qui peuvent également être mises en place pour des élections locales par exemple – elles génèrent de facto les primaires politiques les plus importantes, tant par le nombre d’électeurs que par leur symbolique, en raison des particularités de la Ve République française. C’est pourquoi l’étude se concentrera sur les seules primaires aux élections présidentielles. L’avis du Comité scientifique

Si le taux de participation lors des élections traduit généralement une baisse continue (à quelques rares exceptions près), il serait faux d’en déduire que le principe même de la participation citoyenne est altérée, ou que les citoyens ne souhaitent plus participer à la vie démocratique de leur Nation. Leur intérêt pour la vie politique indique bien qu’ils entendent s’impliquer. Le processus des primaires vient le confirmer, en suscitant une large adhésion, bien qu’elle demeure limitée au regard du corps électoral. Afin d’en renforcer l’appropriation par les électeurs, plusieurs primaires citoyennes ont été organisées, en France, de façon dématérialisée, par Internet. Au-delà des risques encourus du fait du recours à l’outil numérique (notamment les cyberattaques et autres piratages), la principale lacune actuelle repose sur l’absence de cadre juridique uniforme régissant un tel processus, ce qui tend à en affaiblir la légitimité. Pourtant, cette uniformisation ne serait pas seulement possible, mais aussi fort utile. C’est ce que démontrent brillamment Artus Delaire, Camilla Feliz et Emma Rabita dans cette étude sur « Les primaires numériques ».

Jean-Philippe DEROSIER

Professeur de droit public à l’Université de Lille, Membre de l’Institut Universitaire de France

En premier lieu, le développement même des primaires en France est lié à l’idée de participation citoyenne. Elles ne sont pas ancrées dans la culture politique et sont apparues tardivement, en réponse, précisément, à une crise de la représentativité et du leadership. En effet, il faut attendre 1994 et la primaire du Parti Socialiste (PS) en vue de l’élection présidentielle de 1995 pour que le mécanisme soit mis en place pour la première fois, en raison de l’absence de candidat s’imposant naturellement. Cela est notamment dû au fait que pour la première fois de l’histoire de la Ve République, aucun des partis historiques n’a pu soumettre la candidature de son fondateur. L’objectif initial des primaires en France était, comme le souligne la Professeure Julie Benetti, de transposer « dans le cadre du processus préélectoral la logique démocratique qui préside depuis 1962 à l’élection du chef de l’État ». Il s’agit donc de conférer une légitimité pré-électorale à un candidat, en impliquant des citoyens dans des décisions qui auparavant relevaient de la seule compétence du bureau politique partisan. Peu à peu, l’organisation de primaires aux élections présidentielles s’est systématisée. Ainsi, l’autre parti traditionnel français, Les Républicains (LR), à l’époque l’Union pour la Majorité Présidentielle (UMP), rejoint le PS avec sa propre primaire en 2006 en vue de l’élection présidentielle de 2007. Depuis, ces deux partis ont toujours eu recours à une primaire politique avant chaque élection présidentielle. D’autres formations politiques y ont eu recours systématiquement, à l’image du Parti Communiste ou du parti Les Verts, tous deux depuis 2002. Toutefois, les deux formations finalistes des élections présidentielles de 2017 et 2022, La République En Marche (LREM), avec Emmanuel Macron, et le Rassemblement National (RN), avec Marine Le Pen, n’ont pas eu recours à une quelconque primaire.

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