Centrale et fondamentale, la conception kelsénienne du concept de norme en tant que signification d’un énoncé prescriptif est cependant incompatible avec l’idée de généralité sous réserve d’une conception restreinte du concept même de signification. La présente étude poursuit non seulement l’objectif de déconstruire ce concept de norme générale afin de révéler ce motif de nature à entacher sa validité, mais également, et à partir de là, celui de reconstruire un concept équivalent, opération qui aboutira à distinguer, d’une part, signification et sens, et, d’autre part, norme et directive.
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Central and fundamental, the Kelsenian conception of the concept of norm as the meaning of a prescriptive utterance is, however, incompatible with the idea of generality subject to a restricted conception of the very concept of meaning. The present study pursues not only the objective of deconstructing this concept of general norm in order to reveal this motive which is liable to affect its validity, but also, and from there, that of reconstructing an equivalent concept, an operation that will result in distinguishing, on the one hand, meaning and sense, and, on the other hand, norm and directive.
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Interroger l’existence d’un concept aussi central et fondamental que celui de norme générale appelle, a priori, une réponse positive évidente tant il est au cœur même de la définition du droit qui désigne, dans son sens objectif, un « ensemble de règles de conduite socialement édictées et sanctionnées, qui s’imposent aux membres de la société » ; le concept de norme générale, plus largement celui de norme, étant traditionnellement employé dans une acception globale comme « équivalent de règle de droit ». Dans cette mesure, les normes générales sont inhérentes au droit.
Issu des termes grec χανών et latin norma, tous les deux synonymes de l’autre terme latin rēgŭla, qui désignait une « règle servant à mettre droit, à mettre d’équerre », le concept de norme, terme usité depuis l’Antiquité, a, déjà, vu son usage généralisé au cours du XIXe siècle avec, notamment, la théorie du droit naissante. Ce concept a, aussi et surtout, été repris par Hans Kelsen, ce dernier le définissant comme « la signification d’un acte par lequel une conduite est prescrite, ou permise et en particulier habilitée », « signification d’un acte de volonté », « dont la signification est qu’une autre personne (ou d’autres personnes) doit se comporter d’une manière déterminée ». Un tel concept est au cœur de la Théorie pure du droit, ainsi que de la Théorie générale des normes. Au-delà de ces deux ouvrages majeurs, il est caractéristique du normativisme dans la mesure où il englobe non seulement les prescriptions par voie générale, mais également les prescriptions par voie particulière, notamment juridictionnelles. C’est ainsi que la mobilisation du concept de norme participe d’une volonté d’extension du concept de règles, qui ne serait propre à qualifier que les normes générales. Nonobstant cette volonté, les normes générales demeurent le « noyau dur » de ce qui constitue le droit. Le concept de norme générale est central déjà, dans la Théorie pure du droit, dans laquelle il n’est néanmoins pas défini, mais, aussi et surtout, dans la Théorie générale des normes, dans laquelle Kelsen écrit que distincte de la norme individuelle, « une norme a un caractère général si elle pose comme obligatoire un comportement déterminé en général ».
Central dans la théorie normativiste du droit, le concept de norme générale est également mobilisé par les théories du droit qui se sont construites en opposition au normativisme. Tout d’abord, après avoir combattu la théorie selon laquelle le droit serait un système de normes, Alf Ross a fini par admettre que le droit « est le nom d’un ensemble individuel de normes », parmi lesquelles les « normes universelles », par opposition aux « normes individuelles ». Ensuite, si Herbert Lionel Adolphus Hart écarte le recours au concept de norme afin de privilégier celui de règle, « c’est en utilisant ce terme finalement dans le même sens que celui donné par Kelsen à celui de norme ». Enfin, en dépit du fait que le Professeur Michel Troper ait pu questionner l’« incertitude sur la notion de normes générales », la théorie réaliste de l’interprétation reprend le concept de norme générale, se séparant du normativisme essentiellement sur la question de l’interprétation, les normativistes considérant qu’interpréter, c’est connaître, « indiquer la signification » ; la théorie réaliste de l’interprétation estimant, quant à elle, qu’interpréter, c’est vouloir, « déterminer la signification ». Au-delà de leurs différences, les principales théories du droit contemporaines convergent donc sur le point de l’existence des normes générales, et avec, sur la validité du concept de norme générale.
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