Des rapports entre responsabilités managériale et politique. Analyse théorique autour du statut des responsables de programme.

Louis Ha-Thi
Doctorant à l’Université de Bordeaux
Nés dans le cadre de la nouvelle gestion financière publique, les responsables de programme répondent à des logiques d’action radicalement nouvelles, issues du management privé. Destinés à assurer la réalisation de programmes budgétaires opérationnels, ils sont les garants d’une gestion performante. Parallèlement, se développe une responsabilité jusqu’alors inconnue du système administratif : la responsabilité managériale. Purement opérationnelle, cette responsabilité brise les grilles d’analyse classiques de la responsabilité administrative et suscite conséquemment nombre d’interrogations doctrinales mais aussi pratiques. A cet égard, la responsabilité politique pourrait apparaître comme un élément utile à sa compréhension et indispensable à son plein développement effectif. Born within the framework of the new public financial management, the managers of program respond to radically new action logics, resulting from the private management. Designed to ensure the implementation of operational budget programs, they are accountable of an efficient management. At the same time, a hitherto unknown responsibility of the administrative system is developing : managerial responsibility. Purely operational, this responsibility breaks the traditional lines of analysis of administrative responsibility and consequently raises a number of doctrinal but also practical questions. In this respect, political responsibility could appear as a useful element for its understanding and indispensable for its full effective development.
 
« Il va y avoir réussite ou échec, réussite ou échec qui sont maintenant le critère de l’action gouvernementale, et non plus légitimité ou illégitimité », cette réflexion formulée par Foucault, pourrait parfaitement décrire la nouvelle logique financière consacrée par la loi organique relative aux lois de finances. Rompant avec la logique de moyens issue de l’ordonnance organique de 1959, la LOLF entend soumettre le système financier français à une logique de résultats. Cette logique de résultats trouve un soubassement nécessaire dans la refondation de l’architecture budgétaire, dont la nomenclature est dorénavant centrée sur le programme. Unité-clef du nouveau dispositif, le programme désigne « une action ou un ensemble cohérent d’actions relevant d’un même ministère et auquel sont associés des objectifs précis, définis en fonction de finalités d’intérêt général, ainsi que des résultats attendus et faisant l’objet d’une évaluation ». Ainsi défini, le programme participe d’une nouvelle conception de l’action publique ayant pour ambition de transcender la structuration organique traditionnelle au profit d’une logique prioritairement fonctionnelle. Cette nouvelle logique innervant le programme comprend deux aspects interdépendants : mettre la performance au cœur de l’action publique et responsabiliser les acteurs publics ; ces différents éléments se cristallisent pour donner naissance à une nouvelle catégorie d’acteurs publics : les gestionnaires.

Stricto sensu, les gestionnaires désignent « l’ensemble des acteurs financiers publics révélés par la LOLF. En référence à une autonomie dans la consommation de crédits financiers dans le cadre de l’exercice d’une activité, la notion de gestionnaire appelle à considérer comme relevant de cette catégorie les autorités qui mettent en œuvre la fongibilité des crédits. Par conséquent, le terme de gestionnaire recouvre en priorité la fonction de responsable de programme et celle de responsable de budget opérationnel de programme » bien qu’on tende aujourd’hui à considérer que cette catégorie s’étend au-delà.

L’avis du Comité scientifique

L’article de Monsieur Ha-Thi présente un double intérêt. D’une part, il permet une rencontre entre spécialistes de droit public financier et constitutionnalistes en s’intéressant à un sujet original pour ces derniers : la responsabilité managériale. D’autre part, il prend le contrepied d’écrits préalables sur la nature de cette responsabilité. Ce faisant, son grand mérite est de bousculer nos certitudes et d’interroger la nature politique de la responsabilité des gestionnaires de programme. On pourra regretter une vision insuffisamment pratique mais l’auteur pouvait-il faire autrement sans pouvoir accéder aux dossiers personnels des agents responsables de programmes ?

Gilles TOULEMONDE

Maître de conférences en Droit public – Université de Lille CRDP-ERDP (EA n°4487)

Fer de lance de la nouvelle gestion publique, le responsable de programme fait pourtant figure de grand oublié. Non-mentionné par la LOLF, il doit sa consécration juridique au décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique qui le range parmi « les acteurs de la gestion ». Malgré cette mention, Michel Bouvier constate qu’encore aujourd’hui « aucun texte ne définit leur statut ». Or, le décalage entre la place considérable de l’acteur et l’encadrement dont il fait l’objet continue d’interpeler.

Conformément à la logique de la LOLF, les responsables de programme sont chargés de missions multiples, qui les conduisent à intervenir à tous les stades de la vie du ou des programmes dont ils ont la charge. Leur action s’organise ainsi autour de trois axes principaux que sont : « l’élaboration de la stratégie et du budget du programme […], le pilotage du programme […] le compte rendu et la responsabilité ». De surcroit, il convient de mentionner qu’il ne s’agit pas uniquement d’intervention mais que « sous l’autorité du ministre concerné, le responsable de programme a la charge » de ces différentes missions. Plus qu’un exécutant, le responsable de programme apparaît, au vu de ses missions, comme un acteur doté d’un véritable pouvoir de décision, consubstantiel à son rôle stratégique. Ces éléments donnent une acuité particulière au vieux poncif du droit politique qui veut qu’au pouvoir corresponde symétriquement la responsabilité. Le questionnement sur la faiblesse de la prise en compte textuelle du responsable de programme trouve alors une dimension nouvelle, sur la base de l’impérieuse problématique de la responsabilité.

 

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