Claire Aguilon |
Post-doctorat – IEP d’Aix-en-Provence |
→ Pour être qualifié de désobéissance civile, le non respect d’une norme doit être non-violent. Son auteur doit rechercher en l’accomplissant publiquement, la satisfaction de l’intérêt général. Ainsi conçue, la désobéissance civile découle du caractère démocratique d’un système. Sur le plan de la défense des libertés fondamentales, la désobéissance civile peut permettre la reconnaissance d’une objection de conscience et ainsi garantir l’expression d’une liberté de conscience effective. Sur le plan procédural, elle permet d’actualiser sans cesse la légitimité démocratique du droit. Dans tout système, la désobéissance civile permet la remise en question de normes liberticides ou considérées comme illégitimes. La désobéissance civile permet de faire évoluer les lois mettant en œuvre des standards évolutifs. Pour autant, l’encadrement de la désobéissance civile permet de rendre opérationnelle cette notion tout en évitant qu’elle conduise, par une application incertaine, à une instabilité normative. Cet encadrement pourrait se caractériser par une clause constitutionnelle en précisant les critères. La violence d’un acte pourrait être évaluée par une référence a ses conséquences directes et prévisibles sur l’intégrité des personnes. Le juge pourrait évaluer la volonté de rechercher l’intérêt général en se fondant sur un faisceau d’indices. | → The author of an acte of civil disobedience must act peacefully ant seek the general interest. Civil disobedience is implicitly accepted in all democratic system. Civil disobedience ensure the expression of freedom of conscience. Procedurally, it allows to constantly update the democratic legitimacy of law. However, supervision of civil disobedience is necessary. A constitutional clause could specify criteria for applying this notion. If civil disobedience obviously doesn’t allow violation of personal integrity, a constitutional clause of civil disobedience should specify how to evaluate other kind of violence: self defence, indirect violence, violation of property… The judge could take into account a body of evidence to evaluate the research of the general interest by the disobedient. |
Cet article a fait l’objet d’une publication sur le site correspondant à la formule précédente de Jurisdoctoria. Il était intégré dans le n°13, consacré au thème « Les Violations du droit ». |
La question du traitement d’actes de désobéissance civile se pose dans la plupart des systèmes. A l’apogée des idéologies révolutionnaires, l’action par conscience était perçue comme une action contre l’État oppressif. Cette conception évolua alors qu’une légitimité fut peu à peu reconnue à l’État. Pour Hegel, l’État permettait la réalisation de la domination de la raison dans l’histoire. Il se trouve désormais supplanté par d’autres courants cherchant la libération et le progrès historique dans la société[2]. Par ailleurs, les révolutions donnèrent lieu à une constitutionnalisation du droit de résistance consécutif aux révolutions américaines et françaises, s’accompagnant d’une distinction conceptuelle entre légalité et légitimité, d’une reconnaissance constitutionnelle de la séparation des pouvoirs et de la subordination du pouvoir étatique au droit. La plupart des civilisations se réfèrent à un désobéissant civil tel Siddhartha[3] ou Antigone[4]. Sur le plan historique, la désobéissance civile a prouvé son utilité[5], permettant d’éviter une crise plus ou moins latente[6].Selon Hugo Bedau[1]: « un individu commet un acte de désobéissance civile si et seulement si il agit de façon illégale, publique, non-violente et délibérée dans l’intention de s’opposer à une des lois, politiques ou décisions de son gouvernement ». Cette définition implique une réflexion sur la possibilité d’une reconnaissance juridique de la désobéissance civile.
Le problème de la reconnaissance de la désobéissance civile se pose néanmoins en des termes spécifiques en démocratie car ce système induit une convergence entre la rationalité du système et la morale publique s’imposant à ses acteurs. La désobéissance s’y concrétise comme l’expression nécessaire de la liberté du citoyen[7].
La désobéissance civile, en plus de sa dimension symbolique, induit une confrontation réelle, impliquant une obligation pour le cadre démocratique de son rapport à de tels actes. Il s’agit d’établir si, comme le suggère Habermas, son auteur accepte la sanction pouvant résulter de son action[8] ou si, étant considéré comme s’intégrant dans le fonctionnement normal du système démocratique, ce dernier doit l’accepter dès lors qu’il la reconnaît.
Alors que Kant considérait tout acte de désobéissance à la loi comme immoral, Habermas perçoit la désobéissance civile comme une nécessité de morale publique. Il la considère comme une « composante normale parce que nécessaire de (la) culture politique d’un État de droit ». Il estime néanmoins que la désobéissance engage la responsabilité de son auteur[9], qui s’expose volontairement à la sanction de son acte[10]. La pénalité encourue par l’auteur d’une désobéissance apparaît comme une garantie de la sincérité[11] de son engagement[12].
Nous proposerons une tierce réponse : l’auteur d’un acte de désobéissance civile accepterait le risque d’être sanctionné. En effet, nous montrerons que la sanction systématique d’acte de désobéissance civile pourrait nuire à la démocratie. A l’inverse, son impunité apparaît inconcevable puisqu’elle nécessiterait que des actions de désobéissance civile soient immédiatement reconnues comme telles, ce qui apparaît impossible. Une absence de sanction systématique de tout acte revendiqué comme tel, source d’insécurité normative, pourrait se retourner contre l’État de droit. La reconnaissance de la nécessité de la désobéissance civile en démocratie doit être conciliée avec celle d’assurer l’autorité du droit par la sanction de son non-respect. Parmi les actes décrits ou revendiqués comme mouvement de désobéissance civile, certains sont susceptibles de nuire à l’ordre public : destruction d’Organismes Génétiquement Modifiés, émeutes dans les banlieues, graffitis anti-publicitaire, blocages routiers[13]… Aussi une définition de ce phénomène, permettant de discerner les actes relevant véritablement de cette notion, apparaît nécessaire à son institutionnalisation.
Les actes de désobéissance civile, identifiables a posteriori, se trouvent régulièrement qualifiés d’actes terroristes. Tel fut le cas des résistants ayant participé au « sauvetage » de juifs durant la seconde guerre mondiale[14], alors même que ces actions pacifiques se fondent sur l’objection de conscience de ceux qui les entreprennent. Plus récemment, des auteurs de « désobéissance civile électronique » ont été qualifiés de terroristes. Cette qualification s’entend dans la mesure où la « biologie contestataire » pratique une nouvelle forme d’hacking, destinée à permettre « la réappropriation des matériaux et processus scientifiques qui ne profitent aujourd’hui qu’aux grands groupes et à l’armée ». Ces groupes ont, entre autres, recherché comment désactiver des OGM. Steve Kurtz[15] a été inculpé pour « bioterrorisme » en 2004 avant que ne soit abandonnées toutes charges contre lui en 2008.
La question de savoir si l’objection de conscience doit être sanctionnée en démocratie entraîne donc une réflexion sur la façon dont elle peut être identifiée. L’objection de conscience doit être distinguée de notions voisines, parfois reconnues en droit.
Par définition, les autorisations octroyées par le législateur de s’abstenir d’accomplir un acte pour raison de conscience s’apparentent à des « clauses de conscience » plutôt qu’à des actes de désobéissance civile ou à des objections de conscience. Elles ne constituent pas des actes de désobéissance ou d’objection puisqu’elles sont l’expression d’une liberté octroyée par la loi. Une énumération par domaines des normes susceptibles de faire l’objet d’une désobéissance civile semble contraire à la nature même de la désobéissance civile puisqu’elle vise à assurer la mise en perspective critique de toute norme existante.
Ces « clauses de conscience » ont parfois été historiquement obtenues au prix d’actes de désobéissance. Pour autant, aussitôt admises, ces exceptions matérielles au respect habituel de la loi, n’entrent plus dans le champ ni de la désobéissance civile, ni même véritablement de l’objection de conscience. Les autorisations spéciales d’actes qu’une personne peut s’abstenir d’accomplir abondent dans la plupart des démocraties, concernant le service militaire[16] ou le domaine biomédical[17] par exemple. Certaines professions telles que journaliste, avocat, médecin[18] bénéficient d’une large marge d’appréciation dans l’accomplissement de leurs fonctions.
Il est impossible pour le législateur de créer des clauses de conscience dans tous les domaines afin de garantir la liberté de conscience. Encadrer la désobéissance civile par une liste exhaustive de clauses de conscience semble inenvisageable. Par nature, toute désobéissance civile ne peut être encadrée par le droit puisque tout type de norme peut faire l’objet d’acte de désobéissance civile. Pour autant, un encadrement législatif de la désobéissance civile demeure possible.
Il semble également difficile d’identifier les normes pouvant faire l’objet de désobéissance civile par référence à leur source : c’est à dire à l’autorité à l’origine de la norme, à son processus d’adoption ou à sa conformité à des principes « supérieurs »[19].
Sur un plan matériel, étant considéré que les lois ne sont qu’une expression possible de principes généraux, une revendication collective exprimée par la désobéissance civile demeure parfois en accord avec les principes sous-jacents d’un système. Sur un plan formel, la désobéissance civile permettrait de soulever des imperfections dans le processus d’adoption d’une norme ou un défaut de légitimité de l’autorité l’ayant adoptée.
Dans ces hypothèses, il semble qu’un contrôle de constitutionnalité suffise à ce qu’un acte de désobéissance civile ne soit pas sanctionné. Ces cas particuliers ne sauraient, par conséquent, justifier par eux-mêmes un droit à la désobéissance civile. Il apparaît en effet généralement possible de démontrer l’inconstitutionnalité d’une norme incompatible avec des principes fondamentaux, illégitime en raison de sa procédure d’adoption ou encore de l’autorité l’ayant édictée.
Si la définition sectorielle ou par source de l’objection de conscience comporte des limites, il demeure possible d’imaginer que le législateur, ordinaire ou constitutionnel, use d’autres stratégies pour l’encadrer. Il semble délicat pour le droit d’encadrer une dérogation au droit. Il demeure possible de poser des critères permettant de cerner les hypothèses où la désobéissance civile ne devrait pas être sanctionnée. Un tel encadrement permettrait d’éviter qu’appliqué abusivement par des juridictions, le droit à la désobéissance civile ne porte tort à la sécurité du droit.
Nous proposerons donc une définition spéculative de la désobéissance civile comme infraction ou non application à caractère non-violent d’une règle de droit obligatoire. En cela elle se différencie de l’action de protestation même si un acte de désobéissance civile peut s’inscrire dans un mouvement de protestation.
Par son objet, tourné vers la recherche de l’intérêt général, elle se distingue de la clause de conscience et de l’objection de conscience, cette dernière résultant d’une démarche de morale personnelle. Ces deux notions peuvent néanmoins se recouper.
Nous rechercherons si la désobéissance civile, ainsi définie, devrait être expressément reconnue en démocratie et comment elle pourrait l’être.
Après avoir observé en quoi la désobéissance civile constitue un impératif démocratique (I), nous rechercherons comment l’institutionnaliser par l’insertion d’une clause constitutionnelle de conscience, invitant les juges à apprécier la teneur d’un acte revendiqué comme relevant de cette catégorie (II).
I. LA NÉCESSITÉ D’UNE RECONNAISSANCE DE LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE EN DÉMOCRATIE
La désobéissance civile permet dans certains cas l’expression d’une objection de conscience, laquelle constitue un droit personnel en démocratie (1). D’un point de vue collectif, elle constitue un impératif d’éthique publique car elle permet de résorber un éventuel différentiel entre le droit et la volonté nationale (2).
1. L’objection de conscience comme expression d’une liberté démocratique
L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme définit ainsi la liberté de conscience: « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites »[20]. Elle précise en particulier que la liberté de conscience implique le droit de « manifester sa conviction ». La Déclaration sur l’élimination de toutes formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1981, en énumérant les éléments qui relèvent de la liberté de conscience et de religion[21], vise à donner un contenu concret au Pacte.
La liberté de conscience, conçue dans un cadre démocratique, possède une dimension interne et induit une certaine liberté d’expression, la « liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix » et une dimension externe, la « liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement ». Dans l’arrêt Sahin, la Cour européenne des droits de l’Homme reconnaît la liberté de religion. La désobéissance civile peut assurer l’expression d’une liberté fondamentale dans la mesure où une liberté de conscience réelle, nécessaire en démocratie, implique parfois une objection de conscience, laquelle peut induire une action de désobéissance civile.
La liberté de conscience apparaît comme une valeur démocratique par excellence, découlant de la reconnaissance de l’égale valeur de toute conscience. La spécificité du régime démocratique est d’opposer une éthique de la conscience au cours historique, marqué par la violence : « la violence est le ressort de l’histoire », la pratique non-violente doit se réfléchir « à la limite d’une méditation de l’histoire » [22].
Cette liberté ne consiste donc pas simplement en une liberté purement intérieure ; elle autorise un comportement positif. Une liberté de conscience, définie comme une liberté de pensée purement formelle, existe dans tout régime, y compris les plus autoritaires, à moins de la réduire à l’extrême en considérant qu’elle ne représente que le droit de ne pas subir de manipulations mentales[23].
Certains actes de désobéissance civile sont donc fondés sur une objection de conscience.
L’objection de conscience a été distinguée de la désobéissance civile dans la mesure où la seconde, à la différence de la première, viserait par son caractère public à induire une évolution de l’opinion publique. Entendue dans son sens grammatical, l’expression même de « désobéissance civile » semble aller au-delà de cette définition étroite. D’ailleurs, Henry David Thoreau, ayant pour la première fois refusé de payer les impôts destinés au financement de la guerre menée par les États-Unis contre le Mexique, se référa, parmi les premiers, à la désobéissance civile. Or son action, constituant principalement une objection de conscience, n’avait pas pour but d’influencer ses concitoyens. Quoiqu’il en soit, s’il n’est pas établi que toute objection de conscience donne lieu à un acte de désobéissance civile, il demeure possible qu’une objection de conscience soit à l’origine d’un acte de désobéissance civile.
Il semble d’ailleurs que Rawls et Habermas se limitent aux cas de désobéissance civile pour raisons de conscience et n’intègrent pas dans leur définition un acte de désobéissance strictement motivé par la recherche d’un avantage personnel[24].
La désobéissance civile, en plus d’être un moyen d’expression d’une liberté de conscience, permet l’expression du pouvoir de la nation.
2. L’expression de la volonté de la nation par la désobéissance civile
La désobéissance civile apparaît comme un moyen pour les citoyens d’influencer le droit.
La désobéissance civile revêt dans un premier temps et quel que soit le système dans lequel elle prend place, un caractère symbolique. Une action de désobéissance civile, relayée par les syndicats, les partis politiques, les élus locaux voire nationaux permet l’expression de la société civile : « Ce qu’on appelle aujourd’hui société civile n’inclut plus, en effet, l’économie régulée par les marchés du travail, les marchés des capitaux et des biens constitués par le droit privé. Au contraire, son cœur institutionnel est désormais formé par ces groupements et ces associations non étatiques et non économiques à base bénévole qui rattachent les structures communicationnelles de l’espace public à la composante “société” du monde vécu »[25].
Dans ce sens, la désobéissance civile, non-violente, découle d’une éthique personnelle mais aussi d’une responsabilité sociale. John Rawls reconnaît ainsi que la désobéissance civile « s’adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté ». Habermas considère pour sa part que « l’infraction aux règles, qui constitue le moyen d’expression de la désobéissance civile, a un caractère exclusivement symbolique – il en résulte déjà par là qu’elle se limite à des moyens de protestation non-violents. » Pour Habermas, c’est dans cette désobéissance que s’exprime le conflit politique, permettant la réalisation hégélienne de la raison comprise comme « un processus d’apprentissage conflictuel dans lequel une connaissance universalisable se fait jour au cours de la résolution de problèmes qui apportent des améliorations, ceci contre la résistance des groupes dominants »[26]. Lorsque le potentiel rationnel des institutions est bridé par des pathologies sociales, une pratique commune permet l’élaboration de solutions. La désobéissance civile permet la découverte de solutions au delà d’un conflit social[27]. Ainsi n’apparaissent-ils pas comme de simples mouvements irrationnels mais comme l’expression citoyenne d’une vigilance relative aux normes élaborées.
En d’autres termes, il n’existe en démocratie qu’une présomption de rationalité à l’égard du droit produit dans le cadre d’une procédure institutionnelle légitime. Cette présomption peut être renversée. Les minorités, par leur refus de se soumettre à des décisions respectant toute procédure, signifient à la majorité que la décision prise, si elle peut être légitimement acceptable, n’est pas valide, et invitent la majorité à renverser cette présomption par la mise en œuvre d’une nouvelle procédure démocratique. Une telle opposition ne peut intervenir qu’une fois épuisées toutes les possibilités formelles de révision[28]. Cela n’est possible que si la société dans son ensemble est imprégnée d’une culture de la non-violence[29]. Cela demeure l’ultime moyen pour une large population de participer au processus démocratique, même de façon informelle.
En raison de la complexité de la société moderne, la mission délibérative est transférée du public vers un cadre institutionnel organisé. La prise de décision revient désormais au pouvoir administratif et non au pouvoir social. La lisibilité et la rationalité de la prise de décision qui en découle visent à préserver l’État de droit[30]. La désobéissance civile permet à la société civile de rappeler à l’opinion publique qu’elle est la source de la prise de décision en démocratie, par opposition à l’inertie institutionnelle[31].
La majorité de la population, habituellement réceptrice de la norme et conservant ainsi, selon une conviction du libéralisme classique, son indépendance, retrouve en temps de crise son pouvoir pour contester une norme à laquelle elle refuse d’obéir. La société dans son ensemble, non investie d’un pouvoir institutionnel rationnel de production normative, possède une sensibilité accrue à l’égard d’enjeux nouveaux, en dépit de la moindre organisation de la délibération en son sein[32].
Si la ligne de démarcation entre la désobéissance civile et des mouvements de contestation de plus grande ampleur, tels que celui de Martin Luther King et du mouvement américain des droits civiques, demeure incertaine, la désobéissance civile n’implique pas de velléités révolutionnaires et s’accorde parfaitement avec une reconnaissance de la légitimité du système[33]. Elle découle même, dans la perspective rawlsienne, d’une volonté de préserver son caractère démocratique[34]. En effet, même si la citoyenneté démocratique implique l’acceptation d’imperfections institu-tionnelles, obéir aux lois cesserait d’être un devoir lorsque les libertés seraient injustement bafouées. Chaque citoyen serait, de façon pratique, contraint d’identifier des lois scélérates et de refuser d’y obéir[35]. Ainsi Edward Snowden considérait-il ses révélations relatives à l’Agence de sécurité nationale américaine (NSA) comme relevant d’un « devoir de désobéissance civile »[36]. La désobéissance constituerait « un des moyens de stabiliser un système constitutionnel, même si c’est par définition un moyen illégal[37] ». En démocratie l’auteur d’un acte de désobéissance civile agit publiquement dans l’espoir que son action influe sur le contenu du droit. Ainsi constitue-t-elle, selon Rawls, une forme d’action politique légitime, « dans les limites du respect de la loi »[38].
La désobéissance civile permet une politisation du privé[39] ; en la reconnaissant, l’État admet la pluralité « des sources normatives du juste » évitant ainsi, dans une perspective infantilisante, de réduire les citoyens à des sujets, simples récepteurs normatifs. Elle permet une réactivation des principes démocratiques contre l’inertie du système et apparaît ainsi comme une exception au sein de principes normatifs de l’État de droit et de la souveraineté populaire. Pour Habermas, le pouvoir communicationnel des citoyens se situe dans le prolongement de la vie sociale ordinaire[40]. Arendt la perçoit pour sa part comme une réappropriation par le peuple de l’acte inaugural de fondation du politique, distinct des formes institutionnelles ordinaires de communication[41]. Selon un point de vue radical démocrate, la désobéissance civile représenterait l’expression d’une pratique démocratique d’auto-détermination collective ou un contre-pouvoir à l’inertie des institutions étatiques, confrontées à leurs limites intrinsèques: « s’ils veulent agir comme des citoyens et exercer leur liberté participative, ils ne peuvent le faire que dans la sphère publique »[42]. La complexité des systèmes démocratiques modernes rend inévitable un déficit démocratique, d’où la nécessité de la désobéissance civile[43]. Envisagée comme une action collective, la désobéissance civile apparaît comme une confrontation entre le pouvoir constituant et le pouvoir constitué[44], permettant d’éviter une spoliation du pouvoir du premier par le second.
Quelle que soit l’acception que l’on reconnaisse à l’expression « désobéissance civile », tout acte de désobéissance ne présente pas un intérêt équivalent pour la délibération publique[45]. Elle est, selon l’expression de Ricoeur, « à la fois une spiritualité et une technique».
La désobéissance civile apparaît comme une exigence découlant du caractère démocratique d’un système. Elle permet d’expliquer certaines catégories du droit en démocratie même lorsqu’elle n’est pas reconnue explicitement. Pour autant, sa reconnaissance explicite pourrait permettre qu’elle soit appliquée dans toute sa portée sans causer d’insécurité normative.
Une fois étudiée la nécessité de la désobéissance civile en démocratie, laquelle permet d’expliquer certaines catégories juridiques telle que la clause de conscience, nous proposerons son institutionnalisation par l’insertion d’une clause constitutionnelle invitant les juges à apprécier la teneur de cette désobéissance.
II. L’INSTITUTIONNALISATION DE LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE PAR L’INSERTION D’UNE CLAUSE CONSTITUTIONNELLE
Après avoir montré l’utilité d’un encadrement de la désobéissance civile par une clause constitutionnelle (1), nous examinerons quels pourraient être les critères permettant son identification par une telle clause (2).
1. La nécessité d’encadrer la désobéissance civile par une clause constitutionnelle
La reconnaissance de la désobéissance civile, encadrée, permettrait d’assurer le caractère démocratique du système sans pour autant remettre en question sa stabilité. Arendt proposait de « régulariser » la désobéissance civile en l’assimilant à une expression du droit d’association garanti par la Constitution américaine. Dworkin préconisait d’en fixer les critères[46]. La désobéissance civile, non encadrée pourrait être sciemment utilisée par des acteurs rejetant les principes démocratiques.
Il ne suffit pas d’inscrire le droit à la désobéissance civile dans les textes normatifs pour le rendre opérant. La reconnaissance d’un droit à la désobéissance civile implique une séparation des pouvoirs effective et une indépendance réelle de la justice. En effet, les tribunaux, s’ils sont soumis aux pouvoirs politiques, ne manqueront pas de sanctionner la désobéissance civile comme n’importe quelle infraction. Le risque serait alors que la reconnaissance de la désobéissance civile cause davantage de tort à la démocratie qu’elle ne la serve. Pour éviter cela, une brève clarification de la production du droit, induite par la reconnaissance d’un droit à la désobéissance civile en démocratie, s’impose.
Dans un régime démocratique, il semble facile d’écarter la conception de production du droit selon laquelle toute norme peut être déduite d’une règle de droit supérieure.
La désobéissance civile, en tant qu’expression d’une volonté[47] peut influencer le législateur représentant de la nation. Aussitôt reconnue, elle ne serait plus une objection de conscience puisqu’elle deviendrait soit une clause de conscience, soit la nouvelle règle de droit.
La question se pose de savoir à quel point cette volonté, exprimée de façon institutionnelle, peut être dotée d’un effet normatif avant d’être entérinée par le législateur[48]. Un droit à l’objection de conscience pourrait-il être reconnu, permettant au juge de ne pas sanctionner le non-respect d’une norme aussitôt qu’il le reconnaît comme objection de conscience ? Le juge participerait ainsi à l’identification de la volonté nationale en confrontant la volonté exprimée par le biais de la désobéissance civile à la volonté « institutionnelle » exprimée dans les lois[49].
Le juge chargé d’évaluer le caractère civil d’un acte de désobéissance devrait dans ce cas déterminer si un acte de désobéissance sert l’intérêt général ou au contraire, ne servant que l’intérêt de ceux qui le commettent et leurs semblables, est source de discontinuité dans l’action publique. Ce faisant, il s’agit d’éviter qu’un gouvernement des juges ne se substitue au pouvoir législatif.
Les « désobéissants » peuvent sciemment déplacer le champ du débat du domaine législatif vers le domaine juridictionnel en invitant les tribunaux à se prononcer sur la légitimité d’une norme[50]. Les désobéissants prétendent exprimer la volonté générale de façon impartiale lorsque le système représentatif est défaillant[51].
Encore s’agit-il pour les juges de se prémunir contre toute dérive antidémocratique en vérifiant que leurs revendications correspondent à la volonté générale. Cela semble d’autant plus difficile que toute institution ayant du pouvoir est portée à en abuser[52]. Il est à craindre que les juges ne fassent que substituer leur propre volonté à celle d’élus nationaux.
La reconnaissance, dans un système, d’un droit à la désobéissance civile implique donc la reconnaissance d’une légitimité du pouvoir juridictionnel dans l’expression de la volonté générale. Le pouvoir juridictionnel, en s’abstenant de sanctionner le non-respect d’une norme, contribuerait à donner un caractère normatif à un comportement. Une indépendance marquée du pouvoir juridictionnel semble donc un prérequis pour une reconnaissance de ce droit. En particulier, ériger le juge en arbitre entre ces deux volontés nécessiterait donc la reconnaissance d’une légitimité nouvelle au juge dans les systèmes de droit de tradition non jurisprudentielle. Quel que soit le système démocratique visé, il s’agirait de fixer précisément les critères permettant au juge de reconnaître une objection de conscience afin d’éviter qu’invoquée à tort, elle ne nuise à la stabilité et à l’efficacité du droit et afin d’éviter qu’elle ne serve de prétexte à substituer à la norme démocratique un « gouvernement des juges ». En toute hypothèse, les pouvoirs du juge pour reconnaître une désobéissance civile apparaissent d’autant plus importants lorsqu’une norme ne joue que comme convention de coordination.
Il s’agit dès lors de rechercher si l’admission par le juge de l’objection de conscience présente en outre le risque de menacer l’autorité du droit. Admettre l’impunité du non-respect d’une norme, en tant qu’objection de conscience, pourrait remettre en question l’autorité de la norme enfreinte et même du droit en général. Les effets d’une norme risqueraient de devenir imprévisibles dès lors que la sanction de son infraction ne serait plus certaine. Il s’agit donc d’encadrer les conditions dans lesquelles le non-respect d’une norme pourrait être légalement considéré comme une objection de conscience afin d’éviter que l’État de droit ne soit menacé.
L’admission d’un droit à la désobéissance civile, clairement défini, pourrait, à l’inverse, avoir pour effet de renforcer l’autorité des lois légitimes[53]. En effet, tout acte juridique dont le non-respect sera sanctionné sera considéré comme légitime. L’obéissance à une norme par les citoyens, au lieu d’être réduite à une crainte de la sanction, permettra de présumer de sa légitimité. La conviction que leur comportement pourra influer sur l’autorité d’une loi ou d’un règlement ne manquera pas de responsabiliser les citoyens qui seront amenés à envisager les normes dans une perspective critique : « La désobéissance civile est une forme de responsabilité et appelle à davantage de responsabilités»[54].
Par ailleurs, il demeure peu probable que l’absence de sanction d’une désobéissance civile encourage la désobéissance à toute loi ou règlement. En effet, au moment de commettre un acte qu’il considère comme de désobéissance civile, le citoyen ignore si le juge pourra le qualifier comme tel. Par conséquent, le risque de sanction demeure. Plus l’acte commis par le citoyen est éloigné de la définition de la désobéissance civile, plus le risque qu’il encourt est important.
Enfin, la définition légale de la désobéissance civile permettrait d’éviter que des acteurs antidémocratiques ne se qualifient eux-mêmes de « désobéissants civils » pour se doter d’une légitimité concurrente à celle de l’État, invoquant la sanction de leurs actes pour s’ériger en victimes exclues du cadre démocratique.
La stabilité du droit est nécessaire au respect du principe de légalité mais elle contribue également à assurer la continuité de l’action publique et, par elle, l’efficacité du droit. Le rapport entre efficacité démocratique et désobéissance civile dépend de la façon dont on envisage la volonté nationale. Tout dépend si l’on considère qu’elle doit être envisagée de façon abstraite, sur le long terme, ou si elle peut être « réactualisée » de façon concrète par la volonté des citoyens d’une génération[55].
La désobéissance civile peut en effet favoriser des discontinuités dans l’action publique, lesquelles peuvent être perçues comme des blocages empêchant toute action envisagée sur le long terme. Aussi démocratique soit-elle, la désobéissance civile ne permet toujours pas l’atteinte efficace d’un objectif défini puisqu’elle peut provoquer la remise en question d’une norme, et, à travers cela, l’atteinte des objectifs qu’elle poursuit.
Si l’on considère l’efficacité démocratique sous un angle plus large, comme l’atteinte des objectifs réellement poursuivis par la volonté nationale, alors la désobéissance civile favorise l’efficacité démocratique puisqu’elle induit une référence régulière à cette volonté[56].
Tout dépend également du degré de généralité et de pérennité des lois contestées : « L’office de la loi est de fixer par de grandes vues les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquence et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. »[57] La désobéissance civile permet la contestation de normes conjoncturelles mais aussi de remettre en question la correspondance d’une loi avec les aspirations des générations nouvelles.
Les obstacles soulevés pourraient être contournés si la loi elle-même, expression de la volonté générale, ou un principe constitutionnel, venait donner aux juges les moyens de reconnaître un acte de désobéissance civile. Le juge, en refusant de sanctionner un acte de désobéissance civile, se contenterait d’appliquer la loi ou la Constitution. Une norme constitutionnelle semble souhaitable pour octroyer au juge cette possibilité. En effet, si une loi ordinaire autorisait l’objection de conscience, le juge se trouverait face à la délicate tâche de devoir choisir entre la norme enfreinte, sous prétexte d’objection de conscience, et celle créant un droit à l’objection de conscience. Enfin, la désobéissance civile apparaît comme une catégorie générale, permettant d’expliquer d’autres catégories du droit. Aussi et surtout, il apparaît approprié que son institutionnalisation se fasse au niveau constitutionnel plutôt qu’à un autre niveau.
Une fois reconnue l’utilité d’une institutionnalisation de la désobéissance civile par une clause constitutionnelle, encore faut-il préciser les critères de son identification.
2. Les critères de la désobéissance civile
Il s’agit de poser des critères suffisamment stricts à ce droit pour permettre la distinction entre la désobéissance civile et une simple infraction à la loi. Pour appliquer une clause constitutionnelle, le juge devrait évaluer le caractère non-violent de l’action (a) et sa conformité avec la volonté générale (b)
a. Le caractère non-violent de la désobéissance civile
Le caractère non-violent de la désobéissance civile contribue à la distinguer de l’action révolutionnaire[58]. La non-violence se définit comme une absence d’atteinte à l’intégrité physique des personnes et de leur propriété. La désobéissance civile, quoique non-violente, ne se limite pas à un appel moral destiné à sensibiliser l’opinion publique. Elle nécessite parfois une confrontation avec l’ordre établi. Le désobéissant tend à influer sur la force de coercition de l’État, détenteur du « monopole de la violence légitime »[59]. Elle se distingue donc de la résistance passive ou du pacifisme en ce qu’elle admet l’inscription de celui qui la pratique dans un rapport de force par des moyens de pression de nature politique, économique ou culturelle. Ainsi seulement, est-elle en mesure d’être efficace et de déployer sa puissance symbolique d’impact.
Cela étant admis, la non-violence ne devient éthique que si elle peut efficacement influencer la prise de décision. Échappant dans un premier temps au cours normal de l’histoire, elle se substitue ainsi à l’efficacité de la violence en modifiant les rapports humains[60]. De par sa dimension symbolique même, la désobéissance civile est performative et ne nécessite pas le recours aux armes ; elle permet de : « créer une telle crise et de favoriser une telle tension qu’une communauté qui a constamment refusé d’être en pourparlers est obligée d’examiner un problème »[61]. Pour être efficace la désobéissance civile doit néanmoins entrer en confrontation avec le consensus établi et faire valoir de bonnes raisons de le réformer[62]. Pour établir un consensus nouveau, il s’agit de remettre en question le consentement à l’élément contesté de l’ordre en place, ce qui peut nécessiter une forme de violence. En outre, le critère selon lequel la désobéissance civile serait une action non-violente permet d’éviter qu’elle ne serve de prétexte à instaurer un état d’insécurité.
Cependant, non défini, le critère de non-violence comporte de nombreuses zones d’incertitude. Librement ajusté par celui qui l’interprète en fonction des impératifs poursuivis, il pourrait devenir lui-même source d’instabilité normative. Historiquement, le caractère fondamentalement non-violent de certains mouve-ments relève d’ailleurs souvent de l’idéalisation[63]. En dehors de cas d’évidentes violences, le juge peut se retrouver confronté à des cas plus obscurs lors de l’application de ce critère. Ainsi, par exemple, la violence résultant de l’occupation de centrales nucléaires ou de la destruction de sites liés à l’agriculture biologique est conçue par ses auteurs comme un moyen de se prémunir contre des désastres écologiques d’une violence largement supérieure.
Pour être véritablement opérationnel, ce critère devrait être appliqué de façon stricte par le juge, sans quoi la sensibilité de chaque juge aux différents modes de violence pourrait s’avérer source d’insécurité normative. Dans ce type de situation, la fin recherchée devrait être distinguée des moyens utilisés. La loi pénale peut être mise en œuvre pour réprimer la violence commise, les dégâts causés par la désobéissance étant examinés indépendamment de la violence de la loi contestée. La question de savoir si le juge peut sanctionner une action non-violente se pose dans le sens d’une sanction pénale, mais peut aussi s’entendre comme la possibilité pour le juge de reconnaître une action qui ne s’inscrirait pas dans le cadre légal[64].
Aussi tenterons-nous de préciser les contours de ce concept.
La question se pose d’abord de savoir si la violence doit être reconnue en cas d’atteinte directe à l’intégrité des personnes uniquement ou si elle doit être reconnue lorsqu’elle n’est que la conséquence indirecte du non-respect de la loi. Par exemple, l’occupation d’un lieu ou l’entrave d’une voie de communication peut empêcher la survie de personnes en empêchant le passage des secours[65]. La Cour constitu-tionnelle allemande s’est intéressée à cette question à différentes reprises[66].
Le critère de la non violence devrait être affiné. Une première possibilité serait d’admettre la sanction de désobéisseurs, pleinement conscients que leur non respect d’une règle de droit aurait pour conséquence directe et inévitable une atteinte à l’intégrité des personnes. En droit français, le législateur ou le juge pourrait s’inspirer de la jurisprudence relative à l’évolution du lien de causalité[67] entre une faute et un dommage en matière d’engagement de responsabilité[68].
La question se pose également de la délimitation de la non-violence[69]. Le statut de violences psychologiques demeure incertain[70]. Des slogans peuvent-ils être violents par leurs contenus ? Une réponse à ces questions pourrait être déterminée par analogie avec la jurisprudence existante en matière de conciliation entre liberté d’expression et diffamation[71].
Enfin, la question se pose de savoir comment traiter une autodéfense du désobéissant. La réplique à une intervention policière réprimant violemment une manifestation constitue-t-elle une violence ? L’actualité le montre, cette question ne présente pas un caractère nouveau. La référence aux critères d’identification de la légitime défense[72] pourrait inspirer la précision du critère de non violence[73].
L’interprétation du caractère violent d’une action dépend des objectifs publics privilégiés par celui qui les interprète. Ce dernier peut ainsi être déterminé par sa conception dans le temps de l’action politique lorsqu’il évalue le lien entre une action de désobéissance et les dommages qu’elle cause. De même, l’évaluation d’attaques matérielles dépend-elle de la conception par l’interprète du droit de propriété et de son lien à d’autres droits personnels. La destruction d’installations industrielle ou artistique par exemple, peut sembler violente, mais qu’en est-il lorsque ces installations elles-mêmes peuvent causer de la violence ? Ainsi le citoyen est-il amené à percevoir la violence d’un acte sous le regard de la police : est considéré comme violent ce qui, immédiatement, bouscule l’ordre public[74]. Si l’État est à l’origine de la définition de la violence dans le droit, il semble prévisible que la remise en question de symboles étatiques puisse peser davantage qu’une violence humaine ou sociale moins directe. Par conséquent, la non-violence d’une action doit être envisagée in concreto, par une confrontation entre l’intérêt défendu par ceux qui la causent et l’intérêt défendu par la norme enfreinte.
Une interprétation étendue de la désobéissance civile nécessiterait une recherche des conséquences dommageables de l’action entreprise par rapport à l’intérêt visé. L’évaluation de la violence d’un acte serait soumise à un contrôle de proportionnalité. Une telle conception de la désobéissance civile exigerait que soient conférés au juge des pouvoirs plus étendus que ceux qui lui sont octroyés dans la plupart des systèmes.
En tout état de cause, l’évaluation de la pertinence démocratique d’une action de désobéissance civile implique la recherche de ses effets, mais aussi celle de l’intention de ses auteurs.
b. Une action publique tournée vers la recherche de l’intérêt collectif
Le désobéissant civil, par son exemple, crée une « émulation politique » nourrissant l’intérêt général. Constituant une stratégie de prise de décision, elle est une orientation de chaque conscience vers la recherche de l’intérêt collectif.
Dans cette optique, la désobéissance civile, pour faire l’objet d’une reconnaissance législative, ne doit pas se limiter à un acte isolé, motivé par des raisons de conscience. Elle se pratique à un niveau collectif et s’appuie sur de bonnes raisons susceptibles d’être intelligibles par la collectivité, contrairement à l’objection de conscience qui est privée, mais n’a pas pour but l’éveil du sens de justice de la majorité.
Le caractère raisonnable de la désobéissance civile doit être publiquement démontré. Ainsi, devient-il impossible de l’exercer à des fins strictement personnelles. Pour autant, la désobéissance civile peut s’appuyer sur l’action individuelle de figures emblématiques. La désobéissance, en plus de sa dimension symbolique, permet l’inflexion du pouvoir institué par une action non-violente. Ainsi, le refus de Rosa Parks de céder sa place à un passager blanc dans un autobus en Alabama en 1955, fut-il à l’origine d’une campagne de boycott contre cette compagnie d’autobus, ce qui amena la Cour Suprême des États-Unis à reconnaître l’inconstitutionnalité des lois ségrégationnistes. Il s’impose dès lors de rechercher comment doivent être considérés ces actes.
L’objectif d’intérêt général poursuivi par une action de désobéissance civile apparaît difficile à établir car il n’est pas encore concilié par le droit avec les autres causes d’intérêt public auxquelles il se heurte, celles qui sont protégées par la norme enfreinte.
Arendt soulignait les écueils d’une définition d’un droit à toute forme de désobéissance civile. Il semble difficile de « justifier par le droit la violation du droit » en l’absence de référent politique et moral commun dans une société pluraliste. La désobéissance civile doit découler d’un impératif reconnu par plusieurs, émanant d’une « conscience commune », se distinguant ainsi d’une position individuelle et marginale. Il ne suffit pas pour un seul d’avoir raison contre tous, la légitimité de tout acte de désobéissance doit être démontrée auprès d’une pluralité de concitoyens, collectivement susceptibles de davantage d’impartialité morale qu’un seul[75]. La garantie de la légitimité politique de la désobéissance réside dans sa qualité collective[76]. Il est imaginable que certains actes de désobéissance, motivés par la morale personnelle, soient l’expression d’une liberté de conscience sans pour autant représenter un intérêt pour le pouvoir public.
Ghandi considérait que la non-violence devait être explicitée à l’adversaire et être accomplie à visage découvert[77]. La désobéissance civile repose sur une conscience collective, elle amène à témoigner du caractère raisonnable des valeurs défendues. Habermas décrit ce phénomène comme un décloisonnement universel des perspectives individuelles des participants. Les points de vue universalisables sont impartiaux. Ils peuvent ainsi aspirer à une adhésion générale si ce n’est à une reconnaissance intersubjective.
Ainsi les auteurs d’actes de désobéissance civile ne se situent dans une perspective dialogique que s’ils dépassent le point de vue parfois monologique de l’objecteur de conscience[78].
Une autre forme de désobéissance paraît plus difficile à appréhender, celle pratiquée en vue de préserver son intérêt propre. Seule la désobéissance des minorités serait légitime. Ainsi, par exemple, la désobéissance ne pourrait-elle pas être utilisée pour contourner des lois protégeant l’environnement ou échapper aux principes de redistribution. Ce dernier exemple montre la limite d’une évaluation objective de l’intérêt général[79]. En effet, si intérêt particulier et intérêt collectif peuvent converger, il semble difficile que l’auteur d’une désobéissance civile, déchirant le « voile d’ignorance » décrit par Rawls, soit doté d’une grande impartialité morale[80].
La vie en démocratie implique l’acceptation de normes défavorables comme inhérentes au jeu démocratique. Le fait de se retrouver en minorité ne suffit pas à légitimer la désobéissance à une norme si la justice est un pouvoir indépendant et intègre et si l’alternance politique s’y réalise régulièrement. La démocratie ne signifie pas que toutes les normes favorisent chaque citoyen à tout moment. Il s’agit de déterminer, selon la formule de Rawls « quand le devoir d’obéir aux lois promulguées par une majorité législative cesse d’être une obligation face au droit de défendre ses libertés et au devoir de lutter contre l’injustice »[81]. Le pouvoir juridictionnel pourrait se fonder sur un faisceau d’indices pour évaluer la prise en compte éclairée par l’auteur d’une violation des moyens d’action possible sur la norme visée et des conséquences potentielles de sa violation.
La désobéissance civile, caractérisée par son caractère non-violent, public, et sa recherche de l’intérêt général, apparaît comme favorable à la démocratie. Sur le plan de la défense des libertés fondamentales, la désobéissance civile peut permettre la reconnaissance d’une objection de conscience et ainsi garantir l’expression d’une réelle liberté de conscience. Sur le plan procédural, elle permet d’actualiser sans cesse la légitimité démocratique du droit. Dans tout système, la désobéissance civile permet la remise en question de normes liberticides ou considérées comme illégitimes. La démocratie visant à garantir l’expression du pouvoir de tous, elle ne peut ignorer ce mode d’expression et sanctionner les désobéissants civils sans rechercher dans quelle mesure leurs revendications correspondent à la volonté générale. La désobéissance civile permet l’adaptation des lois mettant en œuvre des standards évolutifs.
L’identification de la désobéissance civile peut être conçue comme l’application d’une règle de reconnaissance. L’origine institutionnelle d’une norme ne suffisant plus à attester de la légalité d’actes juridiques, le juge contribuerait à l’identification de la désobéissance civile.
Pour autant, l’encadrement de la désobéissance civile permet de rendre opérationnelle cette notion tout en évitant qu’elle conduise, par une application incertaine, à une instabilité normative. Cet encadrement apparaît indispensable dans un système où le pouvoir juridictionnel n’est pas conçu comme ayant pour mission l’interprétation de la volonté générale.
Cet encadrement pourrait se caractériser par une précision des éléments de la définition spéculative proposée : recherche de l’intérêt général par une désobéissance publique et non-violente au droit.
La violence d’un acte pourrait être évaluée par une référence à ses conséquences directes et prévisibles sur l’intégrité des personnes. L’encadrement de ce critère pourrait être établi par analogie avec des notions juridiques existantes : légitime défense, lien de causalité, conciliation de libertés fondamentales, proportionnalité entre les dommages causés et l’objectif poursuivi.
La désobéissance civile, en favorisant une émulation politique, présente un intérêt lorsque certaines lois cessent d’être l’expression d’une volonté générale sans pour autant pouvoir être écartées en raison de leur inconstitutionnalité. Le juge pourrait évaluer cette volonté de rechercher l’intérêt général en se fondant sur un faisceau d’indices, intégrant, le cas échéant, des preuves extrinsèques.
Bibliographie indicative
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[1] H. A. Bedau, « On Civil Disobedience », Journal of Philosophy, n°58, 1961, p. 661.
[2] N. Bobbio, « La resistenza all’oppressione oggi », Teoria generale della politica, Turin, Biblioteca Einaudi, 1999, pp. 199-213.
[3] Son histoire a inspiré : H. Hesse, Siddhartha, Paris, Grasset, 2002, 172 p.
[4] Sophocle, Antigone, Paris, Flammarion, 1999, 211 p.
[5] J. Tournadre-Plancq, « Protester dans l’Afrique du Sud post-apartheid » , Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), Critique internationale, 2008/2 n° 39, pp. 139-160.
[6] Réseau Canopé, entretien avec R. W. Sawadogo, « Résistance et démocratisation en Afrique », Cahiers philosophiques, 2014/1, n° 136, pp. 100-112.
[7] Alain, Le citoyen contre les pouvoirs, Paris, Broché,1926, 244 p.
La liberté moderne s’exprime, contrairement à la liberté athénienne, dans l’abstention, le retrait, l’indifférence aux lois du citoyen, voire dans la lutte frontale contre le pouvoir.
[8] J. Habermas, « Le droit et la force » dans Ecrits politiques, Paris, Cerf, 1990, pp. 87-104.
[9] Sur la désobéissance tout en respectant les ordres : J-C. Jauffret, « Le mouvement des rappelés en 1955-1956 », dans M. Harbi et B. Stora, La Guerre d’Algérie, Paris, Robert Laffont, coll. « Pluriel », 2004, pp. 202-203.
[10] J. Habermas, L’Éthique de la discussion, Paris, Cerf, 1992, p. 30.
[11] S. Freud, Malaise dans la civilisation, Paris, P.U.F, 1971, pp. 43-45. Pour Freud, l’acte de résistance n’obéit à aucune volonté sacrificielle « Il ne paraît pas qu’on puisse amener l’homme par quelque moyen que ce soit à troquer sa nature contre celle d’un termite. »
Il écrit également : « Chaque organisme produit ses normes » ; « Être normatif c’est affirmer l’originale normativité de la vie. »
[12] J. Rawls, Théorie de la justice, Paris, Éditions du Seuil, 1971, p. 369-391.
« Elle exprime la désobéissance à la loi dans le cadre de la fidélité à la loi, bien qu’elle se situe à sa limite extérieure. La loi est enfreinte, mais la fidélité à la loi est exprimée par la nature publique et non-violente de l’acte par le fait qu’on est prêt à assumer les conséquences légales de sa conduite. Cette fidélité à la loi aide à prouver à la majorité que l’acte est en réalité politiquement responsable et sincère et qu’il est conçu pour toucher le sens de justice du public »
[13] En novembre 2013, les « Bonnets rouges » procédaient à des blocages autoroutiers en Bretagne pour lutter contre l’installation de « portiques écotaxe ».
[14] L. Yagile, La France, terre de refuge et de désobéissance civile (1936-1944). Exemple du sauvetage des Juifs, Tome I, , Paris, coll. Cerf Histoire, 2010, 480 p.
- Cabanel, « Le pasteur Jacques Martin, de l’objection de conscience à la résistance spirituelle à l’antisémitisme », Les belles lettres, Archives Juives, 2007/1 (Vol. 40), 156 p.
[15] Co-fondateur du collectif Critical Art Ensemble.
[16] Loi n° 63-1255 du 21 décembre 1963 sur le service militaire pour les jeunes « se déclarant, en raison de leurs convictions religieuses ou philosophiques, opposés en toutes circonstances à l’usage personnel des armes », JORF du 22 décembre 1964, pp. 11456 et s.
Sur l’accomplissement du service militaire en Espagne : le Tribunal constitutionnel (STC 15/1982) avait affirmé que l’article 30 CE, en conformité avec l’article 53.1 CE, avait une efficacité directe et, par conséquent, qu’il fallait suspendre l’intégration au service militaire de ceux qui se déclaraient objecteurs de conscience. La loi 48/1984 et la loi 22/1998 prévoient obligatoirement pour les objecteurs de conscience une prestation sociale de substitution. Le Tribunal constitutionnel a confirmé la constitutionnalité de ces dispositions légales (STC 160 et 161/1987 et 55/1996).
En droit canadien, cf. H. Brun, « Un aspect crucial mais délicat des libertés de conscience et de religion des articles 2 et 3 des Chartes canadienne et québécoise : l’objection de conscience », Les Cahiers de droit, Vol. 28, n° 1, 1987, pp. 185-205.
[17] Le Code de la santé publique (CSP) connaît trois types de clauses de conscience en matière d’IVG, de stérilisation volontaire (article L. 2123-1 du CSP, dernier alinéa ) et de recherches sur l’embryon (article L. 2151-7-1 du CSP).
[18] Bénéficient d’une clause de conscience les journalistes (article L. 7112-5 du code du travail), les avocats exerçant en société, (sixième alinéa de l’article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971), certains salariés en vertu de la clause du contrat de travail, les médecins (article R. 4127-47 du code de la santé publique, article 47 du code de déontologie médicale second alinéa).
[19] Sur la notion de principes, voir R. Dworkin, Prendre les droits au sérieux, Paris, P.U.F., 1998, 515 p.,
chapitre 4.
[20] Assemblée générale des Nations unies, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, New York, 1966
[21] Déclaration sur l’élimination de toutes formes d’intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, Doc. Officiel de l’Assemblée Générale des Nations Unies, 36e session, rés. 36/55 (1981), article 6.19 : « Le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction implique, entre autres, les libertés suivantes :
a) La liberté de pratiquer un culte et de tenir des réunions se rapportant à une religion ou à une conviction et d’établir et d’entretenir des lieux à ces fins ;
b) La liberté de fonder et d’entretenir des institutions charitables ou humanitaires appropriées ;
c) La liberté de confectionner, d’acquérir et d’utiliser, en quantité adéquate, les objets et le matériel requis par les rites ou les usages d’une religion ou d’une conviction ;
d) La liberté d’écrire, d’imprimer et de diffuser des publications sur ces sujets ;
e) La liberté d’enseigner une religion ou une conviction dans les lieux convenant à cette fin ;
f) La liberté de solliciter et de recevoir des contributions volontaires, financières et autres, de particuliers et d’institutions ;
g) La liberté de former, de nommer, d’élire ou de désigner par succession les dirigeants appropriés, conformément aux besoins et aux normes de toute religion ou conviction ;
h) La liberté d’observer les jours de repos et de célébrer les fêtes et cérémonies conformément aux préceptes de sa religion ou de sa conviction ;
i) La liberté d’établir et de maintenir des communications avec des individus et des communautés en matière de religion ou de conviction aux niveaux national et international. »
[22] P. Ricoeur, Histoire et vérité, Paris, Seuil, 2001, p. 228.
[23] E. Picavet, « Biens communs, valeurs privées et fragilité de l’État de droit », Éthique publique, vol. 6, no 1, 2004, p. 98. De la même façon et s’agissant de conflits éthiques, engageant la vie et la mort, on pourrait ne rien institutionnaliser qui soit inacceptable pour quelqu’une des parties en présence.
[24] J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 403.
La désobéissance civile peut par conséquent rejoindre un intérêt personnel mais ne peut s’y limiter.
Voir en ce sens la théorie du « voile d’ignorance » selon laquelle les individus, lorsqu’ils participent à la décision publique, ne connaissent pas leur future position dans la société et ignorent leurs propres préférences, même morales.
[25] J. Habermas, Droit et Démocratie, Paris, Gallimard, 1997, p. 394. s.
[26] J. Habermas, Conscience morale et activité communicationnelle Morale et communication, Paris, Cerf, 1986, p. 86.
[27] A. Honneth, «Une pathologie sociale de la raison. Sur l’héritage intellectuel de la Théorie critique », dans La société du mépris, Paris, Gallimard, 2006, p. 117.
[28] J. Habermas, L’intégration Républicaine, Paris, Fayard, 1999, p. 322
[29] Ibidem, p. 83. « La masse de la population ne peut plus, aujourd’hui, jouir des droits à la participation politique qu’en s’intégrant à – et en exerçant une influence sur – une communication publique qui constitue un cycle informel. »
[30] J. Habermas, L’intégration républicaine, op. cit., p. 389.
[31] J. Habermas, Droit et démocratie, op. cit., p. 411.
[32] Ibidem, p. 409.
« Les rapports de force changent dès que la perception de problèmes sociaux significatifs suscite à la périphérie une conscience de crise ».
[33] H. Arendt, « La désobéissance civile », dans Du mensonge à la violence, Paris, Calmann-Lévy, p. 78-79.
[34] D. Lyons, « Moral Judgment, Historical Reality, and Civil Disobedience », Philosophy & Public Affairs, Vol. 27, No. 1 (Winter, 1998), pp. 31-49.
[35] J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 396.
[36] Entrevue d’E. Snowden avec le journal The nation, le 17 octobre 2013 : http://www.thenation.com/article/176717/my-visit-edward-snowden
[37] J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 422.
[38] J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 430.
[39] M. Walzer, Essays on Disobedience, War and Citizenship, Harvard University Press, 1970, 244 p.
[40] J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, tome I, Paris, Fayard, 1987, p. 276.
[41] J. Habermas, Droit et Démocratie, op. cit., p. 165 et s.
[42] J. Tully, The Crisis of Global Citizenship, Bloomsbury Academic, 2014, 368 p. « If they wish to act as citizens and exercise their participatory freedom, they are constrained to do so only in the public sphere, only through the exercise of communicative capacities, only through official channels, and only in relation to representative parties and ministries ».
[43] D. Markovits, « Democratic Disobedience », Yale Law Journal, 2005, 114, pp. 1897-1952.
[44] H. Arendt, « ZivilerUngehorsam », in Zur Zeit, Hamburg, 1986, pp. 119-160 ; É. Balibar, « Sur la désobéissance civique », Paris, Droit de cité, 2002, 17-22.
[45] Voir à ce sujet la doctrine du Satyagraha de Gandhi (« satyagraha » signifie littéralement « adhérer à la vérité », c’est l’effort que fait l’individu pour toucher l’adversaire en essayant de le convertir en allié).
[46] R. Dworkin, Prendre les droits au sérieux, op. cit.
[47] Le droit n’est pas une description simple des comportements, sinon il serait totalement imprévisible.
Ce ne sont pas les agissements en tant que faits qui influent sur les règles de droit, normatives. C’est en tant qu’expression d’une volonté et donc d’un devoir être que les comportements peuvent influer une règle de droit. Il n’y a donc pas d’entrave à la loi de Hume selon laquelle il existe une frontière étanche entre être et devoir être.
- Hume, Traité de la Nature Humaine, Paris, Flammarion, 1999, III, I, I.
[48] Sur la règle de reconnaissance, cf. H. L. A. Hart, Le concept de droit, Bruxelles, Publications de l’université de Saint Louis, 1976, p. 130s.
[49] Les lois sont ici entendues au sens large comme l’ensemble des « prescriptions établies par l’autorité souveraine de l’État, applicables à tous et définissant les droits et les devoirs de chacun» (dictionnaire Larousse).
[50] Sur le déplacement de l’affrontement du champ politique vers celui de la justice, voir : H. A. Bedau, « On Civil Disobedience », op. cit.
[51] Rousseau, s’il ne soutient pas la désobéissance civile, montre les limites de la démocratie représentative.
- Rouseau, Du Contrat Social, Liv. II, Chap. 1, p. 368.
[52] Montesquieu, De l’esprit des lois, Paris, Flammarion, 1993, 486. p. : « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ».
[53] Ibidem.
[54] A. Glucksmann, La Fêlure du monde, Paris, Flammarion, 1994, 294. p.
[55] Sur la volonté populaire, voir E. Sieyès, Qu’est ce que le tiers États?, Paris, Éditions du Boucher, 2002, 87 p.
[56] R. A. Dahl, « A Democratic Dilemma : System Effectiveness versus Citizen Participation », Political Science Quarterly, 109 (1), 1994, pp. 23-34.
[57] J.-E.-M. Portalis, Discours préliminaire au premier projet de Code civil, Préface de Michel Massenet. Bordeaux, Éditions Confluences, Collection Voix de la Cité, 2004, 78 p.
[58] H. Arendt, « La désobéissance civile », op. cit.
[59] M. Weber, Le savant et le politique, Paris, Pocket, 2002, 224 p.
[60] P. Ricoeur, Histoire et vérité, op. cit., p. 224. Une doctrine de la non-violence doit avoir traversé dans toute son épaisseur le monde sans limites de la violence : « mesuré la longueur, la largeur, la profondeur de la violence – son étirement au long de l’histoire, l’envergure de ses ramifications psychologiques, sociales, culturelles, spirituelles, par quoi elle apparaît comme le ressort même de l’histoire ».
[61] M. Luther King, A Testament of Hope: The Essential Writings and Speeches of Martin Luther King, Jr., New York, NYU Press, 2006, 429 p. La fonction symbolique de la désobéissance civile justifie elle-même son efficacité, dépassant le pur symbole.
[62] M. Luther King, Jr in Lettre de la prison de Birmingham, 1963 : “Non-violent direct action seeks to create such a crisis and foster such a tension that a community which has constantly refused to negotiate is forced to confront the issue. It seeks so to dramatize the issue that it can no longer be ignored”.
[63] P. Gelderloos, How Nonviolence Protects the State, Boston, South End Press, 2007, 128 p.
[64] Sur la légitimité du contrôle juridictionnel en démocratie délibérative, voir A. Duhamel, D. Weinstock, L. B. Tremblay, La démocratie délibérative en philosophie et en droit : enjeux et perspectives, Montréal, Editions Thémis, 2001, 274 p.
[65] J. Raz, « Civil Disobedience », in The Authority of Law, Oxford : Clarendon press, New York : Oxford University Press, 1979, pp. 262-275.
[66] La Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof), dans son jugement Laepple (BGHS) en 1969 a considéré que conformément au paragraphe 240 du Code pénal allemand, « quiconque exerce une contrainte psychologique commet une coercition d’ordre violent en ce que [son] irruption sur la voie de circulation du train a mené le conducteur à l’arrêt ». Voir aussi le jugement de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht, BVerfGE) de 1995 (BVerfGE, 1 – « Sitzblockaden II », « Blocages par sit-in II »). La Cour fédérale de justice a réagi dans le jugement (BGHSt 41, 182 – « NötigungdurchStraßenblockade », « Coercition exercée par blocage de rue ») qui fut suivi d’un jugement de la Cour constitutionnelle en 2001 (BVerfGE 104, 92 – « Sitzblockaden III », « Blocages par sit-in III »). La Cour constitutionnelle reconnaît explicitement en 2011, dans la lignée de la Cour fédérale de justice, le sit-in comme une pratique pouvant effectivement constituer une violence (1 BvR 388/05).
[67] F. Leduc, « Causalité civile et imputation », dans Les distorsions du lien de causalité en droit de la responsabilité civile , RLDC 2007/40, suppl. n° 2631, spéc. nos 7.
[68] Sur l’évaluation du lien de causalité, voir notamment : H. Slim, « Le lien de causalité : approche comparative », in Les distorsions du lien de causalité en droit de la responsabilité civile, actes du Colloque des 15 et 16 décembre 2006, Faculté de droit et de science politique de Rennes, RLDC 2007/40, suppl. n° 2638, spéc. p. 65.
[69] Article 1382 des codes civils français et belge ; 1457 du code civil du Québec , art. 2315. Code civil de la Louisiane.
[70] La jurisprudence des tribunaux allemands, durant les “London Riots“ au mois d’août 2011, a estimé que le fait d’exercer une pression psychologique sur autrui constituait directement ou indirectement un acte de contrainte et de violence incompatible avec l’exercice d’une protestation pacifique et non-violente.
[71] Sur l’encadrement de la liberté d’expression, voir en particulier : (CEDH, Observer et Guardian c. Royaume-Uni, 26 novembre 1991, série A no 216, p. 30, § 59 ; CEDH, Janowski c. Pologne [GC], n° 25716/94, § 30 ; CEDH, Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], n° 23118/93, § 43).
[72] Cour Internationale de Justice, 27 juin 1986, Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua, I.C.J. Reports 1986, p. 14.
[73] Sur les critères de la légitime défense, voir Article 122-5 du Code pénal
[74] A. Brossat, « Le paradigme du lancer de chaussettes », Lignes n°29, De la violence en politique, 2009, pp. 15-16.
[75] Les moyens de communications modernes permettent une désobéissance et une mobilisation collective.
[76] H. Arendt, « ZivilerUngehorsam », op. cit.
[77] Gandhi, La jeune Inde, Paris, Stock, 1924, 381. p.
[78] H. D. Thoreau, La désobéissance civile, Paris, Mille et une nuits, 1997, 64 p.
[79] E. Heminghway, To Have and Have Not, 1937, 272 p. ; R. Huret, « Une armée de délinquants fiscaux. Les refus de l’impôt aux États-Unis au lendemain de la crise de 1929 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009/2, n° 56-2, pp. 188-210 ; M. Boussahba-Bravard, « Résistance passive et citoyenneté: la rébellion de la contribuable anglaise:1900-1914 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2009/2, n° 56-2, p. 104-134.
[80] J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit.
[81] Ibidem, §57.